Par Daniel Gendron et Hervé Monchot
Kangiqsujuaq, situé sur la rive sud du détroit d'Hudson (Péninsule d'Ungava, Nunavik), a attiré de nombreux archéologues, depuis près de quatre décennies, permettant ainsi l’identification de nombreux sites de cultures diverses (prédorsétien, dorsétien, thuléen/inuit), couvrant prés de 4000 ans d'occupation humaine. La région comprend également plusieurs carrières ou affleurements de stéatite utilisées par l’Homme, certaines datant du début de l'occupation dorsétienne, il y a 2000 ans. Deux de ces carrières, Qajartalik (JhEv-1) et un second site à Upirngivik (JgEu-1), présentent notamment des pétroglyphes ou gravures à visages anthropomorphes sur stéatite. Au fil des ans, ces recherches ont abouti à l'identification de plus de 100 sites archéologiques. Cette importante densité d’occupations peut s’expliquer par une situation géographique privilégiée, qui présente un flux constant d’espèces migratrices, comme celles de mammifères marins (morses, différentes espèces de phoques, de baleines), de poissons ou d’oiseaux, favorisant sur les nombreuses îles environnantes et le continent le développement de la vie et des installations humaines. Cette région est également composée d’une polynie, c’est-à-dire une zone qui se maintient libre de glace, en faisant un endroit idéal pour vivre.
En juillet 2010, à la demande de la Corporation foncière de Kangiqsujuaq, Nunaturlik, l'Institut culturel Avataq, via son programme de recherche ARUC-ASI, a entrepris une première mission de recherche dans le cadre d’un projet de développement sur le «tourisme culturel». Ainsi, l'été dernier, les travaux se sont concentrés sur la fouille d'une maison thuléenne/inuite à Qarmait, non loin du village, et en une visite sur la péninsule Aivirtuuq à environ 40 km au sud-est de Kangiqsujuaq.
QARMAIT
Le site JjFa-1, situé à 2 km au sud-ouest du village à un endroit appelé Qarmait, se compose de nombreuses structures paléohistoriques, dont les plus intéressantes et caractéristiques sont six maisons semi-souterraines datées du début de la période Thuléenne/Inuit. Une présence dorsétienne est également attestée sous les occupations thuléennes/inuites. Ces habitations (qarmait), typiques d’occupations de fin de l'automne/début de hiver, sont accessibles par un tunnel d'entrée plus ou moins long, comprenant un piège à froid et, parfois, une cache. L'intérieur de ces maisons est difficile à discerner du fait de l’effondrement des roches de la paroi vers l'intérieur, mais la fouille de la structure 6 a montré une compartimentation typique de cette période avec une aire de cuisson et une plate-forme de couchage à l'arrière. Le bourrelet qui délimite l'intérieur de la maison fait plus d'un mètre de hauteur. Le site JjFa-1 a été mentionné et publié en plusieurs occasions (Barré 1970, l'Institut culturel Avataq, 1988). Si de nombreuses rumeurs de pillage de ce site circule dans le village, ces traces de pillage s’avèrent limitées, et ces habitations sont parfaitement adaptées pour le développement d’un projet archéologique local, impliquant la participation de plusieurs jeunes Inuits du village et parrainé par la communauté de Kangiqsujuaq. La structure 5 a ainsi livré une intéressante variété d'artéfacts se rapportant tous à des occupations thuléenne/inuite ou dorsétienne. Des pointes de harpon, des couteaux ou des lames, ainsi que de nombreux restes organiques en os et en ivoire appartenant à plusieurs espèces (caribous, phoques, morses, des bélugas, etc.) ont été collectés in situ, c’est-à-dire en contexte archéologique intact. Les résultats de cette première campagne sont prometteurs pour une poursuite du projet en 2011. La proximité du village fait de ce site un endroit idéal pour développer une école de fouilles archéologiques et un attrait touristique à fort potentiel : l'un des futurs projets liés à cette fouille sera la reconstruction d’une maison semi-souterraine afin de montrer aux visiteurs le mode de vie des habitants du Nunavik, il y a 600 ans environ.
AIVIRTUUQ
La péninsule Aivirtuuq, qui sépare les baies Joy et Whitley sur la rive sud du détroit d'Hudson, occupe une place centrale dans le paysage au sens physique du terme, mais également dans la vie des Inuits. Le nom indique une relation étroite entre ceux-ci et le morse et se reflète par l'abondance des restes de morses dans presque tous les coins de la Péninsule, qui a été visité à plusieurs reprises par des archéologues, identifiant 17 sites archéologiques, dont certains remontent au début de l’occupation humaine de la région. Toutefois, aucune recherche archéologique d'importance n’a jamais été effectuée à cet endroit. L'été dernier, l'Institut culturel Avataq a passé plusieurs jours à Aivirtuuq afin d'établir le potentiel archéologique pour un projet à long terme. Les travaux ont porté sur deux sites archéologiques potentiellement prometteurs :
Saunirtalik ou la “Rivière aux ossements” (JiEv-15)
Le site JiEv-15 a été identifié en 2001 lors d'une mission de prospection sous l’égide du projet ARUC « Des Tuniit aux Inuits », et revêt un intérêt particulier en raison de son caractère inhabituel ; en effet, il représente un vaste dépotoir constitué de milliers d'ossements gisant au pied d'un escarpement abrupt. L'emplacement a été visité quelques années plus tard par plusieurs Kangirsujuammiut et son intérêt pour la communauté fut dès lors porté à l'attention d'Avataq. Suite à un accord avec Nunaturlik, une prospection préliminaire du site JiEv-15 fut entreprise afin d’évaluer son potentiel scientifique, mais aussi touristique. Le résultat de ce travail confirma l'importance de l'emplacement du site. En outre, deux autres « rivière aux ossements », clairement liées à la première, furent identifiées. Nous avons également constaté que ce site présentait plusieurs occupations humaines remontant à 3000 ans. Dans sa totalité, le site couvre une surface de près d’un kilomètre carré, et est certainement en relation avec d'autres sites historiques importants de la péninsule.
Saunirtalik, situé à environ 35 m au dessus du niveau de la mer et à plusieurs centaines de mètres des deux rives (au nord et au sud), est un site intriguant et fascinant, notamment par l’abondance inhabituelle de restes de grands mammifères marins, morse et baleine boréale, à cet endroit. Ceci suggère que le site était utilisé durant les mois d'hiver où le transport après l’abattage des grandes proies vers le campement serait facilité par la neige et la glace. De nombreux objets y ont été identifiés, comprenant nombre d’artefacts inuits en os, ivoire, bois ou stéatite, mais aussi des marchandises comme des couteaux en métal, tasses, cartouches, etc. L'objet le plus remarquable est un canon de pistolet dont la manufacture remonterait au milieu des années 1800. L'emplacement lui-même ne figure pas dans les mémoires des Aînés comme un campement de chasse important, même si certaines histoires sur ce lieu font encore partie de la mémoire collective. Ceci concorde bien avec l'âge relatif des biens commerciaux retrouvés sur Saunirtalik, qui nous présumons remonte à la moitié du 19e siècle, il y a plus de 150 ans.
Une maison longue dorsétienne (JiEv-4)
La première maison longue découverte au Nunavik, près du village de Kangirsuk, fut fouillé dans les années 1960 par Thomas Lee et interprétée comme étant d'origine norroise, et ainsi reconstruite comme telle. Toutefois, les fouilles quelques années plus tard d'une maison similaire près de Quaqtaq ont prouvé le caractère dorsétien de ce type d’habitation. Dans la fin des années 1970, Patrick Plumet en identifia quelques autres, dont une à Aivirtuuq (JiEv-4). Mais lors des différentes prospections effectuées sur la péninsule site depuis la fin des années 1990, cette dernière n’a jamais pu être relocalisée. C’est ainsi que l'été dernier, nous avons décidé dans une ultime tentative de retrouver cette maison, ce que nous avons fait par hasard ! À pied de la « rivière aux ossements », nous avions l'intention d'atteindre l'extrémité orientale de la péninsule, lieu présumé de la maison longue. Mais après quelques centaines de mètres de marche, l'un de nous en surplombant une petite baie, à moins de 500 mètres de notre campement, la retrouva, à 1,5 km à l'ouest de l'endroit initialement situés par Plumet !
Cette maison présente une longueur de 24 m et est marquée par une dépression légère à modérée. Chaque extrémité est identifiée par une grande roche verticale. Les interprétations de ce type d’habitat sont variables et incertaines, mais elles représenteraient un lieu de réunions de plusieurs familles, notamment après les longs mois d'hiver. La rareté de ces structures, fait que nous avons eu beaucoup de chance de relocaliser cette structure, qui fera partie intégrante d’un projet de recherche à long terme à Aivirtuuq.
Ont participés au projet de terrain 2010 :
Benjamin Patenaude, Brendan Fenerty, Mary Uqittuq, Lizzie Pinguatuq, Sheila Alaku, Adamie Jaaka Jr, Danielli Jaaka.