L’Institut culturel Avataq souhaite rendre hommage à une pionnière dans le milieu de la poésie au Nunavik, madame Emily Novalinga, décédée subitement le 10 octobre 2009 à Dorval.
Autrefois enseignante à l’école de Puvirnituq, Emily s’est affirmée au fil des ans comme une des poètes, écrivaines et conteuses les plus talentueuses du Nunavik. Au moment où elle nous a quittés, elle s’apprêtait à entamer une tournée des communautés de la Baie d’Hudson, au cours de laquelle elle devait présenter publiquement ses contes avec toute l’énergie, l’humour et la verve qu’on lui connaissait.
Les créations littéraires d’Emily se retrouvent aujourd’hui non seulement dans diverses publications, mais aussi sur la place publique. Ainsi, un de ses poèmes fait partie intégrante de l’œuvre du sculpteur Michel Goulet, déployée en permanence à la Place de la Gare du Palais, dans la ville de Québec. Makivik Magazine a d’ailleurs couvert le sujet dans un article paru dans l’édition de l’été 2008, que vous pouvez relire en cliquant ici.
Cette femme à la forte personnalité a également mené un courageux combat contre la violence faite aux femmes, une réalité qu’elle dénonce dans son poème « Sparkling Igloo ». Ce poème, qui porte surtout sur la vie et l'amour, a fait l’objet en 2005 d’un court-métrage réalisé par Brigitte Lebrasseur, infirmière à Puvirnituq et vidéaste amateur.
Grâce à la maison de production Vidéo Femmes, nous avons la chance de vous présenter jusqu'au 15 janvier 2010 ce court-métrage mettant en vedette Emily Novalinga et son poème « Sparkling Igloo » (Étincelante).
Par Zebedee Nungak, cousin d’Emily
Les souvenirs des jours anciens
Restent toujours aussi clairs et vivants
Les igloos et les tentes
Les Qayait et les traîneaux à chien
Les jours insouciants, les temps heureux
Nos familles vivant en tuqsuqtigiit-
Dans des igloos inter-reliés -
La joyeuse époque des Esquimaux
Nos pères étaient des frères
Nos mères, des sœurs
Ainsi, nous devenions des tapiqquariit-
La force du lien du double cousinage
Par le nom qu’on t’a donné
Eemeelie Nujarlutuq
Tu es ma grand-mère paternelle
Mère de ton père
Mère de mon père
Que j’ai connu à travers toi
Inhumée parmi des dizaines d’autres
Sur la crête rocheuse de la colline Nanuqtuuq
Dans nos terres d’origine - Saputiligait
Ton nom même a fait du Tuqsurausiit (l’usage des noms de parenté pour appeler nos proches)
Une coutume très vivante dans notre famille
Mon père t’appelait Anaana (maman)
Tu appelais ton père Irniq (fils)
Ma mère t’appelait Sakiapik (chère belle-mère)
Mon plus jeune frère, Aliva, pratiquait ce tuqsurausiq
Et t’appellerait Sakiapik jusqu’à la fin
Mon frère aîné Joanasie a toujours été ton Airaarruapik
Qui pourrait jamais oublier cette comptine rigolote de ton invention que tu chantais aux petites filles?
« Ilaanit qaigasuaravit Aqiarulaakkunuuliqta »
Tu l’avais écrite dans le fond de ta main
Et amenait les enfants en ce lieu imaginaire :
Aqiarulaakkut
Est-ce que ce fut ton premier poème?
Comment cela nous a-t’il échappé?
II
Quand ton frère Matiusie
Mon cousin et mon Nunngaugatiq
Nous a quitté plus tôt cette année
Tu lui as fait un hommage bien rendu :
« Matiusie, jusqu’à la fin de sa vie, n’a jamais prononcé ‘Eemeelie’ »
Nous n’avions pas besoin d’explication
Il t’a toujours appelé Emeemik
C’était sa façon poétique de dire ton nom
Me reviennent sans cesse des fragments et des instants de vie sur l’écran de mon esprit
Depuis que tu nous as quitté, paisiblement et discrètement
Ce samedi soir de tes 55 ans
Ta mère, Alasiapik
Mon ajakuluk
Cuisinant des bonbons à la mélasse
Dans notre Igloo
Ton père Aisakallak
Mon akkak
M’amenant, petit garçon
Au camp de printemps Inutsutulliq
En traîneau à chien
Je me sentais un vrai homme!
Puis, nos vies furent bouleversées par la « civilisation ».
Commençait alors un grand voyage collectif
Où le destin nous mènerait à travers les courbes sournoises de la « modernisation »
Plusieurs parmi nous ne se relevèrent pas des coups reçus
D’autres se remirent sur pied
Et continuèrent à marcher vers l’horizon
Vacillant, hésitant, chancelant
Fini l’insouciance et la confiance en soi
La légèreté et les perpétuels sourires
Au diable l’Esquimau du bon vieux temps
Le poids de la vie moderne en héritage
III
Je te rends hommage, Najatsak
La vie t’a donné de méchants coups
Mais jamais tu n’as été vaincue!
Cette force intérieure que nous découvrons en nous
À travers les épreuves imprévues
T’a fait poursuivre ta route
Non seulement tu as survécu aux moments difficiles de la vie
Mais tu as aussi su les chasser de ton chemin
En marchant d’un pas sûr :
On ne te volerait pas tes raisons de vivre
Dans un monde inondé de mauvaises nouvelles
Ce que nous apprenions enfin
Fut un véritable choc :
TU ÉTAIS POÈTE!
Quand, par notre amie commune, Hannah
J’ai su que tu écrivais
Mes quelques doutes se sont envolés
M’est revenu le souvenir
De cette petite comptine Aiarulaakkut
D’il y a si longtemps
Et bien, tu étais poète
Eemeelie la poète !
Tu ne sais combien nous étions fiers
Comment j’étais fier!
Puis, juste comme les amants de la poésie t’ont enfin reconnu
Le Seigneur t’a ramené à lui
Trop rapidement
Le Seigneur donne et le Seigneur reprend
Que le nom du Seigneur soit loué
Tu ne nous as légué ni tristesse ni peine
Tu nous as laissé l’inspiration
Et le défi d’être un peuple positif et de bon caractère
Au revoir, Najatsak. Repose en paix.
Par Elisapi Tukalak Uitangak, Tiili Aupaluk Alasuak et Alicie Kenuayuak Tukalak, ex-collègues d’Emily
Nous allons nous souvenir d’Emily comme une enseignante et une travailleuse infatigable, toujours engagée pour l’avenir des Inuits.
Enseignante professionnelle, elle avait acquis son certificat à l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue.
Elle enseignait son savoir et ses traditions en inuktitut, sa langue maternelle, à de jeunes Inuits qui, un jour, prendraient la relève.
Elle enseignait aussi en Anglais aux jeunes de sa communauté, en espérant qu’ils prennent le contrôle de leur vie et qu’ils réussissent.
Emily a décidé d’apprendre une troisième langue, la langue des signes, pour pouvoir communiquer avec ceux dont c’est le seul moyen d’être en contact avec la société.
Sa présence dans nos rencontres d’enseignants les rendait vivantes et joyeuses. Son envie d’apprendre, de participer et de passer à l’action donnait à tout le monde le goût de s’impliquer.
C’est dans ses écrits qu’elle exprimait ce qu’elle avait au fond du cœur et de l’âme.
Emily croyait profondément en elle-même et à travers sa poésie, elle invitait tous les Inuits à croire à eux-mêmes.
Elle faisait preuve de créativité et visait toujours la perfection dans ce qu’elle entreprenait.
Emily était une personne généreuse qui avait le cœur à la bonne place, toujours préoccupée du bonheur des autres.
Adieu Emily.
Par Gérald McKenzie, ex-principal de l'école de Puvirnituq
Emily Novalinga, un peu par hasard, était la seule Inuite présente à l'aéroport de Puvirnituq, quand j'arrivai avec ma famille en août 1975. Elle avait un enfant dans son amautiq. Son sourire nous a tout de suite réchauffé le coeur.
Elle était alors une jeune enseignante inuite qui deviendrait, dans les années 90, une poète et une écrivaine.
Emily était de la première génération des Inuits scolarisés mais toujours fortement ancré dans la culture et les traditions inuites. Elle est née avant que la télévision et les ordinateurs apparaissent dans le paysage culturel.
Elle faisait parti de la première équipe de professeurs qui enseignaient aux enfants en inuktitut et ce, dans toutes les matières académiques. Elle a contribué aux changements profonds du système éducatif en passant des méthodes assimilatrices des premières écoles du Nord aux classes en inuktitut et à la pédagogie moderne centrée sur les intérêts de l'enfant, soit sur leur culture et leur langue.
Elle participait avec enthousiasme aux démarches pour construire un projet éducatif communautaire à Puvirnituq et elle était très active au sein de la formation des maîtres. Sa personnalité chaleureuse et rieuse mettait de la vie dans nos rencontres.
Comme éducatrice, elle a vite pris conscience du manque de matériel écrit en Inuktitut. Elle était elle-même une des rares inuites de l'époque qui lisait de la littérature de toute sorte. Tous ces facteurs, jumelés à son désir de bonheur et sa volonté de transformer sa vie l'ont amené à se tourner vers la flamme de la poésie qui éclairait son âme. Elle a eu le courage d'affronter la PAGE BLANCHE, pour finalement devenir une des premières poètes inuites.
Emily peut être un exemple pour les jeunes écrivains inuits. La poésie est le premier des arts littéraires. Bientôt, son exemple sera suivi et au Nunavik, on écrira de la poésie, du théatre, des romans, des essais sur l'histoire, la société, la spiritualité, la politique et d'autres champs de connaissance, des scénarios, des chansons. Nous espérons que d'autres sauront, tout comme elle, reconnaître la flamme créatrice qui brûle en eux pour continuer de nous éclairer.
By Carole Rowan
In October of 2008, Emily took part in the Nunavik Educator's Bookmaking Workshop as the Writer in Residence. I was so happy when Emily agreed to come to Salluit and take part in the event.
Emily came to support the artistic development of the educators and took part in the Nunavik Educator's Bookmaking Workshop as the Writer in Residence. She was a powerful role model. She provided inspiration and literary expertise. While in Salluit, Emily read from her book, L’Écho du Nord (Novalinga, 2005). She wrote and illustrated a new book called Foggy these Days (Novalinga, 2008), based on the legend of the Kuuttaaq River. She participated in the Educator's workshops; she made a wonderful action poem, read her poetry on the local radio, visited Inuktitut language classes at both the high and elementary schools and was the featured author at a special community event held at the library.
Emily provided a powerful role model. She shared herself as an author and poet, as a thinker, as an Inuk woman and I suggest, presented the possibility for the Educators to see themselves as writers. She did this through her own authorship and enthusiasm for storytelling and story sharing. When Emily presented her stories, the room drew still and we engaged with her, as she enchanted us with words which stimulated visual images and the sound scapes created by her body and voice. Emily opened the door to the Educators seeing themselves as authors because she spoke in Inuktitut and drew on culturally meaningful images and references, from within the Nunavik region.
After the Salluit session was over Emily told me about her dream to travel around Nunavik sharing her stories.